Conférence sur les guerres de religion
Sylvie Le Clech
Au XVIè siècle, le Moyen Âge est oublié, le monde se réinvente, se découvre infiniment plus grand et mystérieux qu’il ne l’imaginait jusqu’alors. La première moitié du XVIè siècle est une
période d'expansion dans tous les domaines. L’Amérique vient d’être découverte par Christophe
Colomb en 1492. L’imprimerie diffuse les livres imprimés partout en Europe. Ces découvertes
conduisent à une nouvelle forme d’échanges économiques et intellectuels, à des guerres de
conquête, à des paix flamboyantes, à des rivalités entre souverains, Valois en France, Habsbourg
dans le saint Empire romain germanique, Tudor en Angleterre. L'Europe célèbre la beauté
antique. C’est l’époque de Michel Ange, Titien, Le Greco, et en France c'est le moment des
grands chantiers des châteaux du Val de Loire, comme Chambord, le château le plus prestigieux
de François Ier, dont la conception est due à Léonard de Vinci, que nous célébrons en cette année
2019. Nous appelons ce siècle celui de la Renaissance.
A la suite de l’Italie, la France découvre le raffinement, dans la peinture, la sculpture, la musique,
la littérature, la cuisine, l’habillement… Pourtant, dans le même temps, l’éclosion et le succès des idées de Réforme religieuse, défendues par Luther et Calvin créent des divisions entre les
populations qui vont amener à de violents affrontements, dont notre région est le théâtre, à partir
de la mort d'Henri II, fils de François Ier, en juillet 1559. Autour de sa veuve, Catherine de
Médicis et de ses enfants mineurs, s'opposent et se jalousent des groupes puissants à la cour,
noblesse protestante des princes comme Condé, contre les ducs de Guise, qui se prétendent
descendants de Charlemagne. L’Europe est à feu et à sang : l'Empire peine à contenir les révoltes
des Pays-Bas protestants qui sont sous sa domination, l'Angleterre d'Elisabeth 1ère, la « reine
vierge », essaie de faire progresser son influence sur le royaume de France pour retrouver la
possession de Calais et le royaume de France ne sait garantir une paix civile durable entre
protestants et catholiques. Les guerres de religion commencent véritablement en 1562 après le
massacre de protestants à Wassy en Lorraine par les troupes du duc de Guise. Orléans est occupé
en 1562 et la cathédrale détruite en partie. Des aller et venues de troupes protestantes et
catholiques ravagent les campagnes entre Beauce, Perche, Touraine, Blésois.
Au raffinement des aspirations de la Renaissance s'oppose alors une réalité âpre, cruelle et
violente. Catherine de Médicis, conseillée par l'Amiral de Coligny son ministre, est soucieuse de
protéger ses fils, mais des drames ponctuent cette seconde moitié du XVIè siècle : le jeune
François II meurt à Orléans en décembre 1560, Charles IX ordonne le massacre de la Saint-
Barthelemy le 26 août 1572, profitant des noces de sa soeur Marguerite et d'Henri de Bourbon son
cousin, roi de Navarre. Henri III, devenu roi en 1574 tente de réconcilier protestants et
catholiques mais aucun accord n'est durable. Son frère François d'Alençon, se cherchant un destin,
fait alliance avec Henri de Navarre, époux de Marguerite, soeur du roi, et dresse contre le roi le
« parti des malcontents », formé de nobles protestants comme catholiques qui se disent modérés.
Les « malcontents » sont déçus par Henri III qu'ils accusent de faiblesse et d'incompréhension de
ses sujets. Les nobles sont en recherche de faveurs royales qu'il est de plus en plus incertain
d'obtenir. Les Guise fédèrent en 1576, une « Ligue » catholique très implantée dans les villes et
influencent le roi, qui devient autoritaire et distant de ses sujets. Durant ces troubles, les
campagnes sont pillées et incendiées par les armées en déroute, les paysans ruinés.
Le royaume de France est à bout lorsque Henri III promet de réunir à Blois, en décembre 1576,
les Etats généraux du royaume, où il va consulter les trois ordres de la société, noblesse, clergé,
tiers -Etat sur plusieurs questions fondamentales pour la population : la France doit elle mener la
guerre contre les Pays bas protestants, en révolte contre leur Empereur ? Pour ce faire, le roi doit
il lever un impôt supplémentaire que la population serait dans l'incapacité de supporter ? Le culte
protestant peut il s'exercer librement en ville comme le prévoyait l'Edit de Beaulieu-les-Loches
en 1576 ? Les Etats vont donc se réunir à Blois dans un climat tendu et plusieurs députés rédigent
des discours. Un homme rompu aux affaires politiques et aux missions diplomatiques délicates,
conseiller politique du futur Henri IV, sort de sa réserve et écrit un texte moderne sur ce que
signifie être citoyen dans le royaume de France, sur ce qu'est un rapport de confiance entre un
gouvernant et son peuple. Il donne son point de vue sur les malheurs de la société et propose des
solutions pour sortir de la guerre civile et religieuse. Tout le génie de Philippe Duplessis-Mornay,
juriste, théologien protestant, diplomate, neveu de l'évêque de Nantes qui aurait voulu faire de lui
un ecclésiastique de haut rang, réside dans une astuce : ne pas se présenter lui-même, mais
présenter son discours sous la signature d'un catholique et faire passer un point de vue protestant
dont chaque mot puisse être compris par une assemblée en majorité catholique. Dans ce discours
aux accents très modernes, il milite pour la liberté de conscience et d'expression dans l'espace
public, l'égalité des droits, le dépassement des haines, la tolérance et la construction d'une
citoyenneté commune au-delà des différences de confession. Duplessis-Mornay, qui sera
quelques années plus tard l'artisan de la réconciliation entre Henri III et Henri de Navarre, futur
Henri IV, est un penseur et un homme d'action dont les idées se retrouveront dans l'édit de Nantes
en 1598. Il veut la paix intérieure pour le royaume afin qu'il se reconstruise autour de valeurs
communes, comme grecs et romains ont pu en leur temps le faire. Son texte fourmille d'anecdotes
tirées de la Bible et de l'histoire antique, de proverbes, d'observations sur la nature humaine ou
animale, de petites leçons de vie tirées de la vie quotidienne des campagnes et des villes de son
époque, qui font comprendre les passions des hommes et les moyens de les dépasser, par la raison.
Il nous dresse un tableau du royaume de France 4 ans après la Saint-Barthelemy et nous parle de ce qu'est pour lui un bon gouvernement dans une période troublée, où la société souffre de ses divisions mais où la confiance en la vertu et la sagesse des peuples est un message d'espoir.
Quelques portraits finement dressés de ceux qui créent le désordre et trahissent pour mieux tirer profit des troubles et asseoir leur ambition complètent ce tableau vivant d'un second XVIè siècle où l'humanisme savant des intellectuels des années 1520 – 1530 a donné naissance à la passion de la politique. Duplessis vit son siècle et nous le fait partager, au-delà des siècles.