Comment, avec Jeanne d’Arc,
la Bataille de Patay changea le destin de la France
LA BATAILLE DE PATAY, 18 JUIN 1429
Contexte :
Vers la fin de la Guerre de Cent Ans, les Anglais et leurs alliés, les Bourguignons, occupaient déjà la presque-totalité du nord de la France. Depuis octobre 1428, la ville d’Orléans était assiégée par les Anglais. L'intention des Anglais était de s'emparer d'Angers, capitale de l'ancien domaine des Plantagenêt. Pour cela, ils voulaient contrôler les villes situées sur la Loire pour empêcher toute contre-attaque menée par les partisans du roi Charles VII, lequel résidait alors communément à Chinon. Après plusieurs défaites importantes (Cravant, Verneuil, Le Rouvray...), au printemps 1429, l’armée française – comme d'ailleurs la population - était démoralisée, malgré quelques victoires retentissantes, comme celle du Vieil-Baugé. C’est alors que Jeanne d’Arc se présenta à Charles VII à Chinon et le convainquit de l’envoyer à Orléans pour délivrer la ville assiégée par les Anglais et qui était sur le point de capituler. Effectivement, le 8 mai 1429, Jeanne d’Arc chassait d'Orléans les armées anglaises. Cependant, l’armée anglaise, toujours présente dans les environs, restait une menace durable car, sur la Loire, elle tenait encore les villes de Jargeau, Beaugency et Meung-sur-Loire.
La Campagne de Loire :
Après de longues discussions entre le Dauphin et les capitaines, la décision fut prise de reprendre ces trois villes avant de partir vers Reims, afin d’éviter de laisser des places fortes ennemies sur leurs arrières. C’est alors que commence la Campagne de Loire : Le 12 juin, les Français investirent Jargeau et firent prisonnier le comte de Suffolk qui commandait la ville. Le 15 juin, ils reprirent le pont de Meung sur Loire, sans reprendre la ville, et du 16 au 17 juin, ils assiégèrent la ville voisine de Beaugency, où se trouvaient des troupes plus importantes. Pendant ce temps, une expédition de l'armée anglaise venue de Paris arriva à Meung pour ravitailler la garnison et tenta de reprendre le pont. Mais leurs compatriotes chassés de Beaugency, fuyant en direction de Paris, les prévinrent du prochain retour des Français. Le convoi de ravitaillement et son escorte, firent alors demi-tour en direction de Janville, où l'armée avait laissé une partie de ses bagages.
La Bataille de Patay :
Le 18 juin 1429, partant de Meung au matin, l’armée française galvanisée par Jeanne d'Arc, se lança à la poursuite des troupes anglaises sur la route de Huisseau, Montpipeau, St Sigismond.
Lorsque l'arrière-garde anglaise repéra les éclaireurs français, Lord Scales, à la tête de l'armée anglaise, dut se convaincre qu'il y aurait bataille. Pour cela, Scales choisit un versant de la large et peu profonde vallée de la Retrève, tout près de Patay, un lieu vraiment pertinent. Dans la matinée, les archers auraient ainsi le soleil légèrement de côté et pourraient se déployer sur le coteau pour mieux voir leur cible, tandis qu'au fond de la vallée, le petit cours d'eau de la Retrêve, disparu depuis, ralentirait la charge de la cavalerie ennemie. L'avant-garde, sous le commandement de Fastolf, fut arrêtée près de Patay, sur le « chemin de Blois », en direction de Janville, pour servir de réserve, alors que Talbot fut chargé de l'arrière-garde ; il devait, aux environs de Saint-Sigismond et de Saint-Péravy-La-Colombe (à l'ancienne lisière de la forêt d'Orléans), avec une centaine d'archers, retarder les Français suffisamment longtemps pour que l'armée ait le temps de se mettre en ordre de bataille. Cela étant, les Français devaient logiquement arriver en colonne et, avec un petit peu de chance, ils se laisseraient entraîner par l’enthousiasme et attaqueraient à vue, sans attendre le gros de leurs troupes. Les archers de Talbot pourraient alors les "mitrailler" au fur et à mesure, comme dans les batailles précédentes. La victoire, dont les Anglais avaient besoin pour rétablir la situation après la débâcle d'Orléans, se profilait : les Français allaient, une fois de plus, apprendre à connaître les terribles effets de l'arc long anglais.
Du côté français, la réputation de leurs adversaires n'était plus à faire: l'armée anglaise était pratiquement invincible en rase campagne. La nuit précédente, à Meung, lorsque l'éventualité de la bataille s’était précisée, les chefs, inquiets, s’étaient réunis pour délibérer. Jeanne s'était invitée à leur réunion ; après tout, le chef nominal était le duc d'Alençon, mais il avait eu pour recommandation de la consulter. Elle avait accueilli la nouvelle sur le ton de la plaisanterie : "avez-vous vos éperons ?" avait-elle demandé. Les capitaines avaient pris la chose au tragique : faudrait-il encore fuir comme en février, au Rouvray ? Mais Jeanne avait répondu : « En nom Dieu, il les faut combattre ; s’ils étaient pendus aux nues nous les aurons, car Dieu les a envoyés à nous pour que nous les punissions », affirmant qu’elle serait sûre de la victoire : « Le Gentil roi aura aujourd’hui plus grande victoire qu’il eût jamais ».
Jeanne les avait rassurés, ce serait les Anglais qui fuiraient et les éperons serviraient lors de leur poursuite. D'Alençon, ainsi encouragé, avait décidé de continuer la série de "miracles" commencée à Orléans : on attaquerait !
L'avant-garde française fut donc composée de La Hire, de Xaintrailles, du maréchal de Boussac et de leurs compagnies. Ils avaient chacun sous leurs ordres une soixantaine de lances, soit peut-être 700 combattants à eux trois, mais sur ce nombre, il n'y avait que 180 cavaliers, dont eux-mêmes. C'était certainement les mieux entraînés et les mieux équipés de l'armée : des vétérans qui avaient été de tous les combats depuis dix ans et sur lesquels, les chroniqueurs du temps débordent d'admiration, mais aussi de curiosité malsaine, car ils étaient également les pires pillards et les plus grands incendiaires de leur époque. D'Alençon et le connétable de Richemont, qui l'avait rejoint à Beaugency, commandaient le corps principal de l'armée, tandis que Jeanne, elle, était à l'arrière-garde : les capitaines français ne tenaient pas à ce qu'elle risquât de prendre un mauvais coup.
Normalement, l'avant-garde française devait avancer jusqu'au moment où elle apercevrait l'ennemi, puis, elle devait prévenir le gros de l'armée et l'attendre avant de commencer la charge. Cependant, lorsque les capitaines s'approchèrent de Saint-Sigismond, ils ne se doutaient pas que les archers de Talbot les attendaient là.
Ces derniers ne s'attendaient pas non plus à voir les Français arriver aussi tôt, car apparemment, ils venaient juste de se déplacer pour adopter une nouvelle position, plus resserrée et mieux défendable et rien n'était prêt pour accueillir l'ennemi !
Alors qu’ils se déployaient, ils virent arriver un cerf, probablement débusqué par l'approche des Français et ils se mirent à crier pour le faire fuir (à l'époque, l’apparition d’un cerf lors d’une bataille était de mauvais augure). L'avant-garde française, découvrant ainsi à l'oreille la proximité des Anglais, ne s'arrêta pas comme elle aurait dû : emportés par l'enthousiasme de La Hire, qui semble avoir été extraordinairement frappé par la venue de Jeanne (elle réussit même à l’empêcher de jurer), les cavaliers français passèrent au galop et se jetèrent brutalement sur les archers de Talbot. Ces derniers, pas encore opérationnels, furent littéralement aplatis contre les haies qui bordaient le chemin et Talbot fut capturé au passage (par un homme d'armes roturier, Jean Daneau, qui fut anobli pour cela en 1441). Les Français continuèrent, ensuite à vive allure, vers les forces principales anglaises qui se déployaient à quelques kilomètres de là. Arrivés dans la vallée de la Retrève, ils ne ralentirent pas davantage. Là aussi, les archers anglais n'étaient pas prêts. Ils devaient aligner leurs chevaux, les entraver trois par trois, gagner leur emplacement de tir et, planter en avant de celui-ci, les pieux pointus dont ils étaient munis et qui formaient une sorte de cheval de frise. Il fallait du temps !
À vrai dire, les 180 cavaliers de la Hire, Xaintrailles et Boussac n'étaient pas assez nombreux pour vaincre l'armée anglaise à eux seuls. Mais, ils pouvaient la désorganiser en l'empêchant de se mettre en rang de bataille et tuer facilement les archers qui n'avaient pas d'armures. Ils s'y employèrent avec ardeur. La bousculade ne dura probablement que quelques dizaines de minutes, le temps pour que le corps principal des Français commençât à arriver sur les lieux.
Vingt-cinq ans plus tard, le chroniqueur Jean de Wavrin, qui accompagnait Fastolf, conservait encore le souvenir du déferlement des cavaliers français sur les troupes anglaises comme s'ils déboulaient d'une hauteur : donc, au moment de l'assaut, il devait se trouver au fond de la vallée avec Fastolf qui, pour rejoindre Scales dans le corps principal, avait laissé l'avant-garde sous le commandement d'un chevalier "à l'étendard blanc", Simon Morhier. Toujours à cheval, Fastolf retourna précipitamment vers l’avant-garde dans l'idée de la faire intervenir comme renfort. Mais, cela provoqua l'effet inverse : voyant leur chef arriver au grand galop, les hommes de l'avant-garde s'imaginèrent que celui-ci s'enfuyait et prirent la fuite à leur tour. La bataille était d'ailleurs déjà perdue. Lorsque Wavrin se retourna vers le champ de bataille, Scales était prisonnier (capturé par un écuyer nommé Guyon du Coing), les archers massacrés et les Français s'occupaient déjà à prendre les survivants. Furieux, parlant de se faire tuer sur place, Fastolf fut alors emmené par ses écuyers vers Janville, 20 kilomètres plus au nord, où la poursuite cessa.
Les Français avaient eu la possibilité de tuer ou de capturer, à leur convenance, ceux qu’ils voulaient : ils étaient à cheval et une bonne partie des fuyards était à pied. Il y aurait eu 2000 Anglais tués et 200 prisonniers. En regard des pertes subies par les Français dans les batailles précédentes, le nombre de victimes paraît faible. Mais, d'un côté comme de l'autre, les effectifs de combattants n'atteignaient plus le niveau qu'ils avaient au début de la guerre et il semble que les Français n'aient laissé qu'une poignée de survivants, essentiellement les fuyards de l'avant-garde.
Les Anglais – surtout Talbot – avaient cherché la victoire pour rattraper la levée du siège d'Orléans. Tout ce qu'ils avaient gagné était une défaite supplémentaire, bien cuisante. La plus proche armée anglaise – en fait, le millier d'archers qui constituait la garnison de Calais, pour ne pas parler de la poignée d'hommes de Guetin en retraite vers l'ouest après la reddition de Beaugency – se trouvait désormais à des centaines de kilomètres du théâtre d'opération. Les vainqueurs avaient les mains libres pour les mois à venir. D'autant plus que, contrairement à Verneuil où les vainqueurs anglais avaient subi de très lourdes pertes, les Français n'avaient cette fois perdu pratiquement personne : de un à trois tués, selon les sources qui semblent prendre un malin plaisir à affecter d'en ignorer le nombre exact. Il faut beaucoup chercher pour arriver à identifier une seule de ces victimes, en la personne de Jacques de Breauté, seigneur de Bellefosse, issu d'une famille réputée pour sa bravoure mais aussi pour sa malchance sur les champs de bataille. Plus grave encore pour les Anglais : de tous les chefs présents, seul Fastolf avait pu s'échapper. Le commandement anglais était annihilé, le corps des archers anéanti. Il ne fallait pas compter sur Bedford pour rétablir la situation : il n'avait jamais fait preuve de grandes qualités militaires et il venait de se montrer pusillanime en abandonnant la responsabilité des opérations à Scales.
On a rarement vu 180 hommes s'attaquer à 2.200, chiffre ne recouvrant d’ailleurs que les pertes anglaises (tués et prisonniers) : on ignore le nombre des fuyards – parmi lesquels se trouvent les hommes qui composaient l'avant-garde – et donc l'effectif complet de l'armée vaincue. On manque certainement d'adjectifs pour qualifier l'état d'esprit des Français au soir de Patay : Jeanne avait promis la victoire au nom de Dieu et la victoire était là, spectaculaire, brutale, complète. Pour les soldats, Jeanne était désormais la preuve vivante que Dieu était avec le roi de France. Et les armées ont toujours aimé mettre Dieu de leur côté.
Le lendemain, l'armée se remit en marche pour Orléans, avant de rejoindre le Dauphin à Gien, où devait se décider la marche vers Reims et le sacre.
Sources :
Pour cette bataille, nous disposons à la fois d'un témoignage du côté anglais, par Wavrin du Forestel, qui accompagnait Fastolf à l'avant-garde et d'un autre du côté français, celui de Guillaume Gruel, biographe du comte de Richemont. Celui-ci chevauchait dans le corps principal de l’armée, avec le duc d'Alençon, Raoul de Gaucourt, Gilles de Rais et le bâtard d'Orléans, tandis que l'avant-garde était composée de Boussac, La Hire et Poton de Xaintrailles. Jeanne d’Arc avait été placé dans l’arrière-garde, malgré elle, pour être protégée. Wavrin dénombre 13000 français, dont 4000 à l'avant-garde, ce nombre élevé étant probablement donné pour excuser la rapidité avec laquelle son camp se fit écraser. En fait, il y aurait eu 4000 Français en tout, et,
probablement, 200 hommes à l'avant-garde.
On dispose aussi des commentaires de Du Bueil, de Le Fèvre de Saint Remy et de Monstrelet.
Texte : Olivier Bouzy, docteur en histoire médiévale, directeur scientifique du Centre Jeanne d’Arc à Orléans.