LE CERF DE LA VICTOIRE DE PATAY :
HISTOIRE OU LÉGENDE ?
L’intervention d’un cerf dans la Bataille de Patay est un fait historique rapporté par le chroniqueur bourguignon Jean de Wavrin. Ce fait est donc de l’histoire. Bourguignons et Anglais étant alliés à l’époque, ce Bourguignon était aux services du Duc de Bedford, régent de l’Angleterre et se battait aux côtés des Anglais. Ayant pris part à la Bataille de Patay, le 18 juin 1429, il relate l’épisode du cerf. Ce récit authentique, appelé aussi une « source » rapporte qu’à environ 5 km de Patay les Français virent un cerf « partir hors des bois (que celui-ci) prit son chemin vers Patay et s’en alla se jeter parmi la bataille des Anglais où s’éleva un haut cri, car ils ne savaient (pas) que leurs ennemis fussent si près d’eux. Entendant ce cri, les coureurs (les soldats de l’avant-garde) français furent certains que là étaient les Anglais et aussitôt (ils) les virent après tout pleinement. » (Jeanne d’Arc, par Régine Pernoud, Éd. du Seuil, 1962) Les combats commencèrent aussitôt : c’était le début de ce qui se termina par une victoire fulgurante des Français : c’était la revanche de la Bataille d’Azincourt, où, en 1415, toute la noblesse de France avait été massacrée.
Il n’est pas rare qu’au cours des siècles un événement d’un tel retentissement soit étoffé dans un récit ultérieur par les détails imaginés par des auteurs enthousiastes. Alors, cela devient une légende, une certaine forme de littérature dont le Larousse nous donne la définition suivante : « Représentation embellie de la vie, des exploits de quelqu'un et qui se conserve dans la mémoire collective ».
Voici un bel exemple comment le récit authentique très sobre du passage du cerf est transformé sous la plume de Mark Twain, l’un des plus grands écrivains américains » (le conteur, imaginé par l’auteur, est un page de Jeanne d’Arc) :
« C’est alors que notre patrouille, battant les fourrées, débusqua un cerf. Paniqué, l’animal s’enfuit à grands bonds et disparut. Une minute ne s’est pas écoulée qu’un tumulte s’éleva, en direction de Patay. C’était la soldatesque anglaise. Claquemurés en garnisons depuis de longs mois, las de manger que des vivres moisis et avariés, les soldats anglais ne purent retenir de bruyantes exclamations à la vue de cette viande fraîche qui bondissait parmi eux. La pauvre bête ne le sut jamais, mais elle coûta cher à ces hommes qui la désiraient avec un si bel appétit. En effet, les Français savaient maintenant où se trouvaient les Anglais, lesquels, de leur côté, ignoraient que leurs ennemis étaient si proches. » (« Le Roman de Jeanne d’Arc » par Mark Twain, traduit par P. Ghirardi, Éd. du Rocher, 2001)
D’autres légendes se sont créées, notamment dans la commune voisine de Saint-Péravy-La-Colombe, dont la mémoire collective est particulièrement riche en légendes. Faisant désormais partie du patrimoine local, certaines ont même été accueillies par des sociétés savantes sous la forme de « collections de légendes ». Par exemple, l’une d’entre elles nous dit que le cerf aurait emprunté la route du cerf - entre Coinces et Chesne, et une autre que Jeanne d’Arc, après avoir prédit le 18 juin 1429 : « Entre la Croix Blon et la Croix Faron, nous les aurons… », se serait arrêtée justement à la Croix Faron pour prier. Enfin, encore une autre légende veut que Jeanne se soit assise, pour consoler des soldats blessés ou mourants, sur une grande pierre, retrouvée dans la Retrêve au nord de Roumilly. Cette pierre, genre dolmen mais plus petite, aurait été montée dans la ferme puis découpée pour pouvoir être exposée sous forme d’une superbe dalle dans la cour de Roumilly, toujours visible aujourd’hui.
La confrontation de ces textes aux sources nous montre cependant que les récits de ces légendes ne sont pas vraisemblables. Par exemple, l’attitude prêtée aux Anglais par Mark Twain ne tient pas du tout compte du contexte historique, comme nous a expliqué Olivier Bouzy : En effet, comme à l’époque, les gens étaient très superstitieux, un cerf, symbolisant un malheur imminent, faisait peur. Donc les Anglais criaient, non pas de joie, mais pour le faire fuir. Ceci montre qu’interpréter le passé en le mettant dans son contexte historique, est vraiment une affaire de spécialistes, dont seuls les chercheurs formés, en général universitaires, ont les clés.
Autre exemple, si le cerf était passé par Coinces, l’armée aussi serait passée par là. Mais Coinces n’était pas du tout sur le trajet des armées : Le chemin de Blois que l’armée suivait était tout droit, de Saint-Sigismond vers Lignerolles, dans le creux de la vallée de la Retrêve, en passant par Saint-Péravy ou Coulemelle, ou entre les deux. Quant au passage par la Croix Faron, il n’est pas non plus pensable que l’armée ait risqué ce détour d’au moins 3 km, pour que Jeanne puisse y prier ! En effet, les combats féroces avaient déjà commencé à Saint-Sigismond avec les archers de Talbot, et Jeanne n’avait qu’une hâte, c’était d’y participer ! En revanche, des sources authentiques rapportent bien que notre héroïne, jeune de 17 ans, était profondément « choquée » (c’est ce que nous dirions aujourd’hui) devant les centaines de morts et blessés. Elle avait pleuré et réconforté des soldats anglais blessés ou mourants.
Monsieur Bouzy, docteur en sciences historiques et directeur du centre Jeanne d’Arc à Orléans, nous dit que ce n’était pas vraiment sur la hauteur de Roumilly, un peu éloignée du trajet des troupes, mais, plutôt du côté des « haies de Patay ». Mais pourquoi ne pas attribuer à Jeanne d’Arc une belle pierre des environs, devenant ainsi légendaire ?